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La Tortuea Nicolas Goulet, Procureur du Roy à Chartres

Puis que je chante en ton honneur,
A tout le moins preste faveur
Aux cordes sourdes de ma lyre,
Neveu d'Atlas, qu'ell'puisse dire
Le sort estrange à ceste fois,
Des nerfs animez de tes doigts
Dessus l'escaille decharnee
De la Tortüe emmaisonnee,
Qui seiche, une autre ame receut
Si tost que ton oeil l'aperceut:
Change heureux! plus noble que celle,
Qui n'estoit autre que mortelle,
Et qui ne servoit que d'apas
Aux pauvres mortels d'icy bas:
Mais qui depuis (grande merveille!)
A debouché la sourde oreille
Des bois, des roches, et des mons
A la cadance de ses sons.


Sus donc Muse qu'on s'évertue
A bien chanter une Tortue,
L'esmail, et le compartiment
De son mobile bastiment.


Gentil ouvrage de Nature
En si bigearre creature,
Au mufle et au pied serpentin
Tapi sous le cave argentin
D'une ovalle, en voûte escaillee,
L'une en l'autre si bien taillee,
Que le burin industrieux
N'en peut aprocher de son mieux.


Aussi la Cyprine Deesse
Frisant l'or de sa blonde tresse,
Lors qu'elle se veit en naissant
Dans les replis d'un flot glissant
La choisit pour barque hosteliere,
Et pour fidelle basteliere,
Laissant roüiller au fond des eaux
Les ancres, appuis des vaisseaux,
Pour tenir la route en Cytheres
Dessus les rides marinieres,
Où sans tourmente elle aborda,
Et, dame, son regne y fonda.


O vrayment heureuse coquille
Qui receus l'escumiere fille
En si piteux enfantement!
Ayant d'amoureux sentiment,
Et de pitié plus que la mere,
Plus que la troupe mariniere,
Plus que la croupe des Daulphins,
Et plus que tous les Dieux marins.


Je diray Venus entachee
Du surnom d'ingrate attachee,
S'ell' ne t'a dans l'azur des cieux
Entre les flambeaux radieux,
Toy qui l'afranchis de la rage
Des flots, et du cruel orage
Des vents à l'envy obstinez
Contre sa mere mutinez.
Toy qui tiens sous la double escorce
D'un petit animant la force,
Pour le plus brave, et le plus fier
De tous animaux défier


Or'qu' il ait la peau serpentine,
L'ongle et la queue lezardine,
Si n'at-il rien de venimeux,
Ny rien que le serpent hayneux.


Ne guarist-il pas la morsure
D'Aspics noiraux, de sa charnure,
Et le pipeur aveuglement
De tout magique enchantement?
Son sang esclaircist le nuage
Des yeux et polist le visage:
Son sang vermeillonne le teint
De fiévre ou de langueur esteint:
Tant sa nature est amoureuse
De nostre race langoureuse!


Pourquoy charge-elle sur le dos
L'asseurance de son repos,
En sa petite maisonnette,
En sa petite boytelette?
N'est-ce à fin de nous contenter
En nostre maison, sans tenter
Mille maux que l'heure importune
A pour guidon de la fortune?
Mille maux, et mille dangers
Qu'encourons és lieux estrangers?


Sans encor irriter les ondes,
Des mers horriblement profondes,
Sans foüiller dans le sable encor
Des Indes, les perles et l'or?
Sans s'acheter d'une bravade
En combat, ou en embuscade,
En combat, ou en embuscade,
Coups de masse, ou de coutelas?


Aprenons de nostre maistresse,
Nostre mere, nostre deesse,
Nature, qui ne brasse rien
Qui ne se tourne en nostre bien.
Mais las! chetive race d'hommes
A peine sçavons qui nous sommes,
Ny quel est l'ombre des desseins
De Dieu, en l'oeuvre de ses mains.


Le marcher lent de ceste beste,
N'est-ce à fin que l'esprit arreste
La course des affections
De nos bouillantes passions?
Donques regardons que l'ouvrage
De Dieu, n'est pour flatter l'usage
De nostre pallais desgouté
Seulement, ains que sa bonté
Nous grave par ces creatures
Le portrait de ses escritures,
Non pas les noms tant seulement
Pour nous en servir d'ornement.


Va donc sans te haster mignone,
Au lieu où tout l'honneur sejourne
De ton mesnage , et tout le beau
De ta coquille, et de ta peau
En petis astres marquettee,
Mise sous la voûte argentee
De ce bastiment relevé
En bosse, et dessus engravé:
C'est dedans la maison honneste
De mon Goulet, qui ja s'apreste
A te dresser dans le contour
De son jardin, un beau sejour,
Parmy les perlettes roulantes
Dessus les herbes verdoyantes,
Parmy le basme, et les odeurs
Et l'email de cent mille fleurs.


Puis si l'aller te donne peine,
Il te promet une fontaine
Vivante en crystal dous-coulant
Dessus le sable sautelant:
Car ton naturel est propice
A faire l'un et l'autre office.


Estant là, n'ayes plus de peur
De choir sur le roc, ny frayeur
De la violante glissade
De l'aigle, ny de son onglade,
Ou qu'en ta cheute le Destin
D'un autre Eschille soit la fin.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578