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Imprecations sur la mort du seigneur Loys du Gaz, prises du Latin de M. de PP

L'Autheur donc de ta mort, du Gaz, est inconnu,
Et jusques à present sous silence tenu
L'audacieus forfait, et n'est lieu qui paresse
Où se puisse attacher mon ire vangeresse:
Nemesis le sçait bien, et le sçait bien ce Dieu
Ce devin Apollon, qui a l'oeil en tout lieu:
Mars le sçait bien aussi, et de larmes communes
De leur cher nourriçon pleurent les infortunes,
Et de commun accord ensemble ont arresté
De cest acte meschant vanger la cruauté


Mais ô Dieux! je vous pry ne souillez vos sagettes
De sang si corrumpu, ny d'ombres tant infettes,
Mais que le crimineux, l'assassin et l'autheur
Vive eternellement sans sentir la faveur
De la mort, quant et soy qui tout malheur entraine.


Quiconque soit celuy, qu'il survive à la peine
De ce meurdre cruel, qu'il m'ait pour ennemy,
Aise de son malheur, et mourant à demy
D'un oeil cave et transi languissant recognoisse
Un autre Gaz en moy qui vaincueur apparoisse
Sauf et sain de retour, ne souffrant mal sinon
Et vivant, et voyant, des filles d'Acheron.
Roule vif garrotté sur les aelles bruyantes
Du roüet d'Ixion, sous les cymes pendantes
D'un rocher esbranlé soit tousjours en frayeur,
Bruslé, tari de soif, et pasmé de chaleur,
En l'eau jusqu'au menton, d'entrailles renaissantes
Paisse des fiers oyseaux les bouches ravissantes.
Et si quelque sentir aux Ombres de là bas
Reste apres un tardif et paresseux trespas,
Soit de mesmes bourreaux, et de mesmes martyres
Tourment? ce meurdrier ou d'autres qui soyent pires,
A fin de soulager les coupables damnez
De supplices plus doux se voyant condamnez.


Des Eumenides soeurs la garde plus cruelle
Sur le sueil de son huis face la sentinelle,
Et les soucis mordans, le remors et la peur
Couchent dedans son lict pour le mettre en fureur.


Sus doncques Tisiphon, industrieuse appelle
Tes soeurs pour inventer quelque peine nouvelle,
Tire Mezention du profond des Enfers
Et Perille artizans de supplices divers:
Fay bruire sur sa peau une large courroye
Tant que le sang meurdry de tous costez ondoye
Coups sur coups redoublez, foüettant, hachant, brulant,
Le dos de ce meurdrier de toutes parts sanglant,
Travaillé de prison, et de torches ardantes
De coups, de pois, de gesne, et de lames bruslantes:
Ou dans un sac de cuir estroitement enclos,
Le Singe et la Vipere alterant son repos
Le tourmentent sans fin, pour avoir eu l'audace
De priver la patrie et d'honneur et de grace.


Au lieu le plus secret qui soit en ma maison,
Du Gas, je veux avoir ton image et ton nom
Entier et d'or massif, aux autres soit d'eslire
Te faire, si leur plaist, de bronze ou de porfire,
A fin qu'en épanchant de ce sang ennemy,
Invoquant ta faveur, ton nom et ton amy,
Sur les autels jumeaux le Devin et l'Auspice
Te puisse heureusement offrir son sacrifice.


Je te salue, ô Gas, et devôt en ce lieu,
J'honore ta vertu d'un eternel adieu:
Et si des champs heureux y a quelque esperance
Aux Ombres de retour, vien voir la doleance,
Le regret memorable, et les pleurs de ton Roy,
Assiste à ma priere, et aux voeux que pour toy
Je dresse en ton obseque, à fin que ton saint Ombre
S'en retourne appaisé dans le Royaume sombre.


Heureux puisque la Parque a voulu retrancher
La trame à tes beaux jours, avant que trebucher
Tu veisses ta Patrie, helas qui ne pend ores
Que d'un petit filet et tout pourry encores!


Heureux puis que ton corps par le mesme troupeau
Des Muses fut porté jusques dans le tombeau,
Ton corps outré, navré en cent façons cruelles,
Indignement forcé de cent playes mortelles,
Massacré dans le lict d'une assassine main
Sous le faux tradiment d'un meurdrier inhumain.
Playes dont pour jamais immortelles les rendre,
Les Muses au poinçon dessus l'escorce tendre
Des verds Lauriers de Pinde, en signe de douleur,
Dépites ont gravé le nombre et la grandeur,
A fin qu'en les voyant croisse la souvenance
Que tu n'as le renom d'estre mort sans vengeance.
Mais trois fois plus heureux qui as eu la faveur
D'avoir les yeux fermez, pour le dernier honneur,
Des blanchissantes mains de Maistre et de Maistresse,
Yeux pressez de sommeil, noüans en l'ombre épaisse
De l'eternelle nuict, et trois fois plus heureux
Que ma Muse sacree a dessillé tes yeux
Par ces vers, truchemens de mon humble priere
Pour les faire jouïr de la douce lumiere.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578