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L'Escargotau Seigneur R. Garnier

Puis que je sçay qu'as en estime
Le petit labeur de ma ryme,
Point je ne veux estre de ceux
Qui sont au mestier paresseux
Dont ils tiennent la connoissance,
Et en cachent l'experience:
Vrayment je ne veux estre tel.
Car à l'exercice immortel
Des Muses, j'emploiray ma peine
Pour chercher l'immortelle veine,
Et le surgeon du clair ruisseau,
Qui roule du double coupeau
De Parnasse, à fin que j'abréve
Quelquefois estant sur la gréve
De mon petit Ronne argentin,
Qui flotte d'un ply serpentin,
Recherchant ton Loir, pour l'hommage
Qu'il luy doit de son voisinage,
Ma langue, pour mieux entonner
Le fredon que je veux sonner
Sur mon Lut, de la douce flame
Qui fait un brasier de mon ame,
Et de l'honneur que je te doy
Pour l'amitié que j'ay de toy.


Toutesfois attendant que l'heure
T'en aura l'espreuve meilleure
Mis en main, je te veux tailler
Une Limace, et l'emailler
Au compas, comme la nature
En a tortillé la ceinture,
Comme au ply d'un petit cerceau
En bosse en a fait le vaisseau,
Le vaisseau que je veux eslire
Pour le vanter dessus ma lyre.


C'est donc toy, cornu Limasson,
Qui veux entonner ma chanson,
C'est toy, c'est toy race cousine
De la brigade Titannine,
Qui voulut écheler les cieux
Pour mettre en route les hauts dieux.


Il t'en souvient de l'entreprise
Et de la victoire conquise
Contre vous, car le bras vangeur
De vostre sang fut le changeur.


Quand pour eternizer la gloire
De telle conquise victoire
En signal du sot jugement,
Qu'ils avoyent prins ensemblement,
D'oser egaler leur puissance
A l'immortelle resistance,
De leur harnois et de leurs os
Il en tira les Escargots,
Que voyez encor de la Terre
Leur mere (moquant le tonnerre,
La corne droitte, bien armés)
Contre le ciel naistre animés.


N'est-ce pas contre la tempeste
Que portez brave sur la teste
Le morion bien escaillé,
Bien cizelé, bien esmaillé,
Et comme race opiniastre
Que cherchez encor à combatre
La marque des vieux fondemens
Et les superbes bastimens?
Grimpant a-mont pour faire eschelle,
Pensant que soit la citadelle
Dont Encelade foudroyé
S'atterra menu poudroyé,
Comme par l'esclat d'un tonnerre
S'empoudre le bois et la pierre?
Ou comme le flanc d'un rampart
A coups de balle se depart?


Puis d'une deux-fois double corne,
Brave, tu rampes sur la borne
De quelque Olympe sourcilleux,
Ou d'un Pelion orgueilleux,
Semblant defier la menace
De Jupiter par ton audace?


Mais, helas! tout en un moment
Au seul soupirer d'un doux vent,
Tremblant de peur ta laide trongne
Dans sa coquille se renfrongne,
Craignant le foudre punissant
Que darde son bras rougissant.


O sotte race outrecuidee
Que la fureur avoit guidee
Non la raison, pour aprocher
Celuy qui la fist trebucher
D'un clin d'oeil! telle est sa puissance
Contre l'humaine outrecuidance,
Telle est la rigueur de ses mains
Contre la force des humains.


Cela vrayment nous doit aprendre
De n'oser jamais entreprendre,
De n'oser jamais attenter
Chose contraire à Jupiter.
Où tendoit leur sotte aventure
Que pour combattre la nature,
Qui par un certain mouvement
A sur nous tout commandement?


Aussi le sang, et le carnage
De leur sort, tesmoigne la rage,
La grand'colere et la fureur
De Bacchus brave avancoureur:
Quand à dos et teste baissee
En peau de lyon herissee,
A coups d'ongles, à coups de dens
Tout pesle-mesle entra dedans,
Et de la rencontre premiere
S'attaque à l'apparance fiere
Du grand Rhete, qui repoussa
De tel effort qu'il l'enfonça,
Et mort estendu sur la place
Empoudra sa sanglante face,
Sans mille, ausquels pour s'approcher,
L'ame et le sang leur fist cracher.


Et c'est pourquoy pere indontable
Ceste vermine miserable,
Pour plus traistrement se vanger
Encor aujourdhuy vient ronger
L'espoir et la vineuse attente
Du gemmeux bourgeon de ta plante.


Aussi pour te vanger je veux
En faire un sacrifice d'eux,
Dressant un triomphe en memoire
De la brave et gente victoire,
Comme jadis s'ensanglanta
Le couteau du bouc, qui brouta
Le verd tendron de la ramee
Du beau sep de ta vigne aimee.


Tu seras donc vif arraché
Hors de la coque, et embroché
A cest echallas pour trophee,
Où pendra ta chair etouffee
Dans la terre premierement,
Qui produit tel enfantement,
Et telle outrageuse vermine
Qui ronge la grappe Angevine.


Tes armes je les garderay,
Et puis je les deroüilleray,
S'il te plaist, pour servir d'augette,
[9] Garnier, à ta gente Aloüette.
Ou (si tu le veux ramager)
A ton Rossignol passager,
Qui d'une vois doucement rare
Pleure encor la couche barbare,
L'outrage et le tort inhumain
Que forfist la cruelle main
Du traistre ravisseur Teree,
Aux chastes feux de Cytheree.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578