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Le Pinceauau Seigneur George Bombas

A qui mieux doy-je presenter
Ce Pinceau que je veux chanter
Qu'à toy qui sçais peindre la gloire
Des neuf Soeurs filles de Memoire?
Et mouvoir les Dieux aux attraits
Animez dedans tes portraits,
Qu'à toy qui pratiques l'usage
De mieux labourer un visage
Au Pinceau, que Venitien,
Que Flamant, ou qu'Italien,
Encore que toute la France
Admire plustost l'excellance
De quelque estranger, que la main
De celuy qu'ell'couve en son sein?


Pinceau à la pointe estoffee
D'un poil choisi, pointe animee,
Au mouvoir des artistes dois,
Qui te manient sur le bois.


Pointe qui de façon ouvriere
Sçait enfler l'estomach colere
D'un Peleide, et qui fait or
Soupirer les armes d'Hector,
Rallumant le feu devant Troye,
Pour avoir mis Helene en proye,
Cause trop juste à l'estranger,
[7]Pour trop justement se venger.
Qui fait or Hercule combatre
Geryon, Busyre, et abatre
Mille monstres, mille serpens,
Le brave labeur de ses ans.


Pointe qui fait jetter les larmes
Au bois, quand aux feintes allarmes
On voit nager au sang des morts
Les chevaux par dessus les corps.


Pointe qui de couleur sanguine
Entame la chaste poitrine
D'une Lucrece, sans douleur,
Pour exemple d'un noble cueur,
Armant sa main de hardiesse,
Et d'une dague vengeresse
Du forfait et crime inhumain
Que luy fist le tyran Romain.


Bref, qui fait ce que la Nature
Nous monstre en sa vive peinture,
Et qui plus est, ce que nos yeux
Ne virent jamais sous les cieux:
Nous repaissant d'un feint image
Ou de quelque estrange paysage,
Et bref en cent papiers divers
[8]Le globe de tout l'univers.


Pointe qui de gentille adresse
Dore le poil de ma maistresse,
Et contre-fait l'ivoyre blanc
De son front, et le double rang
De riches perlettes encloses
Entre les boutons de deux roses,
Les oeillets et les lis semés
Dessus deux tertres animés,
Le bras juste, et la main polie,
Qui serre ma mort et ma vie,
Et le reste, que je ne puis
Concevoir, tant navré je suis.


Pren donc ce Pinceau et me trace
Les rares beautés de ma Grace,
Fidelle amy, trace-les moy:
La donc: ha mon Dieu je les voy.
La donc avant, je t'en supplie
Par la sainte amitié qui lie
Nos deux coeurs, qui ne desliront
Tant que les astres reluiront,
Trace moy ces beautez naïves
Au vermeil de ses couleurs vives.
Mais à fin de ne les souiller
Vueilles ce Pinceau remouiller
Dedans la belle eau qui distile
Tant doucement de ton dous stile.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578