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L'Huistreau Seigneur de Baif

Je croy que l'esprit celeste,
L'esprit celeste des Dieux,
Baissant l'oeil, tout courbé reste
Quelquefois sur ces bas lieux,
Pour se rire de l'ouvrage
Que la Nature mesnage
Dessous la charge des cieux.


Au vague repli des nues
Elle attache les oyseaux,
Dedans les forests chenues
Les plus sauvages troupeaux,
Et la brigade muette
Du peuple escaillé ell'jette
Dessous le marbre des eaux.


Mais elle a bien autres choses
Et grandes pour enfanter
Dans son large sein encloses.
Et qui les voudroit chanter
Oseroit-il pas encore
Grain à grain le sable More.
Et les estoiles conter?


Voyez comme elle se joüe
Contre le rocher pierreux
De cet animant, qui noüe
Entre deux cernes huitreux?
C'est, c'est l'Huistre que j'accorde
Sur la mieux sonnante corde
De mon cistre doucereux.


Voyés comme elle est beante,
A fin de succer les pleurs
De l'Aurore, larmoyante
Les rousoyantes douceurs,
Quand de sa couche pourpree
Elle bigarre l'entree
Du matin de ses couleurs.


Puis si tost qu'elle est comblee
Jusques aux bords pleinement,
De ceste liqueur, coulee
Du celeste arrosement,
[5]Soudain elle devient grosse
Dedans sa jumelle fosse
D'un perleux enfantement.


Car suçottant elle attire
Peu à peu le teint pareil,
Dont la nüe se remire
Par les rayons du soleil:
Si pure, elle est blanchissante:
S'elle est palle, palissante:
Si rouge, ell'prend le vermeil.


Tant sa nature est cousine
Du ciel, qu'ell'ne daigne pas,
Vivant en pleine marine,
Y prendre un seulet repas:
Comme ayant la cognoissance
Que de la celeste essance
Tout bien decoule çà bas.


O Nature trop gentille
Sous le couvercle jumeau
D'une argentine coquille
Qui fais endurcir la peau
D'une perlette d'eslite,
Et la franche marguerite,
Prendre couleur de son eau.


Thresor, qui la terre ronde
Fait rougir, et fait ramer
Des quatre corniers du monde,
L'Orient, et l'Inde mer:
Thresor, qui de sa merveille
Fait la delicate oreille
Des princesses entamer.


Qui ne la diroit apprise
De quelques bons sentimens,
Quand elle fuit la surprise
Des pipeurs allechemens,
Joignant sa coquille en presse,
Pour rampar de la richesse,
Qu'elle nourrist dans ses flancs?


Vy, que jamais ne t'enserre
Le pied fourchu doublement
Du Cancre, qui te desserre
Pour te manger goulument
Et laisse ouvrir ta coquille,
Sans te monstrer difficile
A mon [6]Baif nullement.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578