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Chanson

Autre maistre n'ay que l'Amour,
Je le serviray nuict et jour:
C'est pourquoy je l'ay fait seigneur
Et de ma vie et de mon coeur.


D'estre serf point ne me desplaist,
Mon coeur estant si bien qu'il est
Cent fois plus doucement traitté
En service qu'en liberté.


Aussi le maistre que je sers
N'est fascheux, rude ny divers:
Et si n'est pas courtois et dous
A moy seulement, mais à tous.


Quelque mal-plaisant, importun,
Mal-né, mal voulu de chacun,
Appellera ce Dieu cruel:
Mais je ne le cognois pour tel.


Je n'ay de luy que du bon-heur,
Du plaisir et de la faveur,
Et qui vit sous luy langoureux
Je croy qu'il n'est point amoureux.


Amour est compagnon du temps,
Et de l'Automne et du Printemps:
Moy mesme ay son feu découvert
Dessous les glaces de l'hyver.


L'un porte le visage peint
De palle frayeur qui le poind:
Et l'autre n'est jamais content,
Alteré du bien qu'il attend.


L'esperance et le desespoir
Soit pour cil qui n'a le pouvoir
Acquerir, estant serviteur,
D'une maistresse la faveur.


Quant à moy si j'avois le poinct
Aymant, qu'on ne demande point,
Mais qu'on prend en temps et en lieu,
Je ne voudrois pas estre Dieu.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578