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De la Blessure d'amour

N'agueres je vey ma Mignonne
Qui façonnoit une couronne
De lis, de roses et d'oeillets
Et de cent boutons vermeillets,
Pour croistre de fueille honoree
L'honneur de sa tresse doree,
Et l'émailler de cent couleurs,
La troussant au rond de ses fleurs.


Apres l'avoir bien arrosee
D'eau de parfum, et bien posee
Sur son chef, au tour du chapeau
Je vey ce petit Dieu oyseau
Amour, qui tremoussant les aelles
S'assiet sur ces roses nouvelles:
Puis sautelant à demy-tour
Baisa doucettement l'entour
L'entour de sa bouchette tendre,
Mais las! en se voulant étendre,
Abaissant l'un et l'autre flanc,
Il se piqua jusques au sang
Du bout d'une espingle attachee
Sous les fleurs doucement cachee,
Si bien que le sang qui couloit
De son visage, et qui rouloit
Le long de sa blanche poitrine,
Et de sa lévre couraline,
Meritoit mieux de surnommer
Une fleur, et la renommer,
Que celuy que la dent porchere
Tira de la cuisse tant chere
D'Adonis. Mais quoy? voletant
Triste, fasché, tout sanglotant,
Portant la lévre déchiree,
La couleur palle, et empiree,
Volle à sa mere, et luy monstra
Sa douleur, et luy remonstra
Comme il recevoit une injure
Du bout d'une épingle parjure,
Parjure d'avoir traistrement
Navré ce Dieu cruellement.
Et s'il n'en avoit la vengeance
Il jura que par la puissance
De sa fleche et de son carquois,
De son feu, de son arc turquois,
Que jamais ne darderoit flamme
Sur la poitrine de la femme.


Venus voyant perdre le sang,
Print en sa main un linge blanc
Pour luy ressuyer le visage,
Et pour addoucir le courage
Du mignon, qui se courrouçoit
Outre mesure, et qui tançoit,
Se print d'une face riante
Et d'une voix doucement lente
A dire ainsi, Ha n'as-tu pas
Sous l'amorce de tes appas
Cent et cent fois en eschauguette
Navré les coeurs d'une sagette?
Et d'une fielleuse poison
Bruslé le sens et la raison?
Et causé dedans nos poitrines
Une douleur, que les racines,
Ny les drogues ny le sçavoir
Du fils d'Apollon n'ont pouvoir
De guarir, et que la pointure
De ton dard est beaucoup plus dure
Que celle qui t'a offensé
Sans jamais y avoir pensé
Et qui ne pense avoir sur elle
Pauvrette, une playe mortelle
Que ton arc dessus moy vainqueur
A bien causé dedans son cueur?


A peine eut finy la parolle
Qu'Amour tout irrité s'envolle
En quelque secret inconneu:
Car depuis il ne s'est point veu.
Et c'est pourquoy ma toute belle
Humaine se monstre et cruelle.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578