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La Nuict

O douce Nuict, ô Nuict plus amoureuse,
Plus claire et belle, et à moy plus heureuse
Que le beau jour, et plus chere cent fois,
D'autant que moins, ô Nuict, je t'esperois.
Et vous du ciel estoiles bien apprises
A secourir les secretes emprises
De mon Amour, vous cachant dans les cieux
Pour n'offenser l'ombre amy de mes yeux.


Et toy, ô Sommeil secourable,
Favorable,
Qui laissas deux amants seulets,
Eveillez,
Tenant de la troupe lassee
L'oeil et la paupiere pressee
D'un lien si ferme et si doux
Que je fus invisible à tous.


Porte benigne, ô porte trop aimable
Qui sans parler me fus si favorable
A l'entr'ouvrir, qu' à peine l'entendit
Cil qui plus pres ton voisin se rendit.
Doux Souvenir trop incertain encore
S'il songe ou non, quand celle que j'honore
Pour me baiser me retint embrassé,
Bouche sur bouche estroitement pressé.


O douce main gentille et belle,
Qui pres d'elle
Humble et secrette me tiras!
O doux pas
Qui premiers tracerent l'entree!
O Chambrette trop asseuree
D'elle, de l'Amour, et de moy,
Garde fidelle de ma foy.


O doux baisers, ô bras qui tindrent serre
Le col, les flancs, plus fort que le lierre
A petits noeus autour des arbrisseaux,
Ou que la vigne alentour des ormeaux!
O lévre douce où gouté l'ambrosie,
Et cent odeurs dont mon ame saisie
Se sentit lors d'une extreme douceur!
O langue douce, ô trop celeste humeur,


Qui sceut si bien les feux esteindre,
Et contraindre
Soudain de ramollir l'aigreur
De mon coeur!
O douce haleine soupirante
Une douceur plus odorante
Que celle du Phenix qui part
Du nid où en mourant il ard.


O Lict heureux, l'unique secretaire
De mon plaisir et bien que ne puis taire,
Qui me fis tel que ne suis envieux
Sur le nectar, doux breuvage des Dieux.
Lict qui donnas en fin la jouissance,
De mon travail heureuse recompanse:
Lict qui tremblas sous les plaisans travaux,
Sentant l'effort des amoureux assaux.


Vous ministres de ma victoire
En memoire
A jamais je vous vanteray:
Et diray
Tes vertus, ô lampe secrette
Qui veillant avec moy seulette
Fis part liberale à mes yeux
Du bien qui me fist tant heureux.


Par toy doublé et par ta sainte flame
Fut le plaisir, dont s'enyvra mon ame:
Car le plaisir de l'amour n'est parfait,
Qui sans lumiere en tenebres se fait.
O quel plaisir sous ta clairté brunette
Voir à souhait une beauté parfaite,
Un front d'yvoire, un bel oeil attirant!
Voir d'un beau sein le marbre soupirant,


Une blonde tresse annelee
Crespelee:
En double voûte le sourcy
Raccourcy,
Voir rougir les vermeilles roses
Par dessus deux levres décloses,
Et de la bouche les presser
Sans peur d'estimer l'offenser.


Voir un gent corps qu'autre beauté n'egale,
Où la faveur des Graces liberale
Des astres beaux, de Nature et des Cieux
Prodiguement verserent tout leur mieux.
Voir de sa face une douceur qui emble
L'un de mes sens, à fin que tous ensemble
Confusément cest heur ne prinsent pas
Pour se souler des amoureux appas.


Mais, Amour, pourquoy tes delices
Tes blandices
S'escoulent vaines si soudain
De ma main?
Pourquoy courte la jouissance
Traine une longue repentance
D'avoir si peu gousté le bien
Finissant qui s'escoule en rien?


Jalouse Aurore, et par trop envieuse,
Pourquoy fuis-tu la couchette amoureuse
De ton vieillard, et me hastes le temps
D'abandonner l'amoureux passetemps!
Puissé-je autant te porter de nuisance
Que je te hay: si ton vieillard t'offense
Cherche un amy plus jeune et plus dispos,
Et nous permets que vivions en repos.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578