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Le Corala sa maistresse

Donques c'est toy, bouche cousine
De ceste branche Coraline,
Qui me commandes la vanter.
Las! seray-je tousjours esclave
Bruslant sous ta parolle grave
D'un feu qui ne peut s'alenter?


Sus donc, puis qu'il faut que je chante
L'honneur de ceste heureuse plante,
Muse dy moy premierement
Comme en Coral ell'se transforme,
Raportant le tige, et la forme
D'une herbe en son accroissement.


Ell'naist en rameaux verdissante,
Dessous l'écume blanchissante,
Ou contre le roch qu'elle suit
Ou choisist sa terre propice
Sur la rive, maigre nourrice
Et de bonne herbe, et de bon fruit.


Puis ayant passé sa jeunesse
Courbe dechet en sa vieillesse,
Teste et racine pourrissant,
Comme les corps de toutes choses
Qui sont dedans la terre encloses,
Dont l'humeur les va nourissant.


Confite en ceste pourriture,
Mourant, bastist sa sepulture
Molle, glissante au fond des eaux,
Mais trois fois heureuse demeure
Qui fait que jamais ne se meure
Le sang pourpré de ses rameaux.


Car si tost que le ciel s'irrite,
Et la mer aigrement dépite
Cave les flancs des rochers durs,
Ceste herbe aux rives escoulee,
Dessous une écume meslee,
Emprunte du ciel ses couleurs.


Et s'enroidist en corps solide,
Si tost que du sejour humide
Aux bords elle peut s'eslancer,
Miracle estrange! au creux de l'onde
Desja morte, une ame seconde,
Soupirant tire de nostre aer:


Et soudain paroist toute telle
Qu'elle estoit en sa fleur nouvelle,
Et en sa premiere verdeur:
Ell'porte son fruit, sa racine,
Sans plus à la couleur sanguine,
Et le ferme de sa rondeur.


Car en flottant elle s'approche
Des piés rongés de quelque roche,
Où soudain se vient empierrer:
Et restant encor demy molle,
Si serrément elle s'y colle
Qu'à peine l'en peut-on tirer.


O Seigneur, que tu nous decoeuvres
De grands secrets, voyant ces oeuvres,
Petit ouvrage de tes mains,
Voyez comme une herbe flestrie,
Au fond de l'eau toute pourrie,
Se fait un miracle aux humains?


Ce n'est pas la force épanchee
Du sang de la teste tranchee
De Meduze, qui l'arrosa,
Quand Perse aux rives ondoyantes,
Sur un lit d'herbes verdoyantes
Encor tremblante la posa.


C'est le Coral de ma maistresse,
Qui tient plustost de la rudesse
Du sang de ce monstre [3]hideux:
Car tant soit peu qu'ell'le desserre
Pour soupirer, elle m'empierre,
Restant muet devant ses yeux.


Donques ô branche Coraline,
Puis que tu portes medecine
De quelque rafraichissement,
Appaise l'amoureuse flamme
Qui [4]me va bruslant jusqu'à l'ame
Par ne sçay quel enchantement.


Estanche la playe coulante,
Qu'Amour de sa darde volante
M'a faitte au branle de sa main:
Et d'un or fin bien enchassee,
D'un cordon de soye enlassee
Je t'auray tousjours dans mon sein.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578