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Complainte, sur la mort d'une Maistresse

Sacré Laurier, et toy gentil Ormeau
Au tige verd et refrisé rameau,
Qui surpendus sur la grotte sauvage
Embrunissez l'herbe de vostre ombrage,
Ombrage frais où sont accompagnez
Les doux Zephyrs qui nous ont soulagez
Cent et cent fois, quand la Chienne aboyante
Nous chassoit loing sous la roche pendante
Madame et moy. Hé si vous sçavez bien
Quel heur m'estoit, et de plaisir combien
J'avois alors que d'une humble simplesse
Et d'un refus, ma gentille maistresse
Entre mes bras doucement se posoit
L'oeil demy clos, et puis se reposoit.
Hà seigneur Dieu qui ne portoit envie
Au doux repos de mon heureuse vie?


Mais maintenant qui jette plus de pleurs,
Ou qui est plus abysmé de malheurs
Que moy chetif, chetif et miserable
Ne voyant rien qui me soit agreable?
Soit que la nuict d'un voile brunissant
Couvre la terre, ou que le jour naissant
Monstre par tout sa lampe journaliere,
Lampe celeste, et celeste lumiere,
Jamais l'ennuy, le travail soucieux,
Tant soit-il peu, donne tréve à mes yeux.


Tousjours tousjours ma playe se rempire,
Et peu à peu se mine en son martyre:
Comme en hyver l'on voit dessus un mont
Par le rayon que la neige se fond.


Qu'est devenu le vermeil de la rose,
Le lis, l'oeillet, et la richesse enclose
Entre les ronds de ce marbre enlevé
D'un doux soupir vivement animé?


Las il est mort! et la fiévre rongearde
De ces beautez la grace a mis en garde
Entre les mains de l'avare nocher:
Cruelles mains, cousines d'un rocher,
Qui n'espargnez la beauté ny la grace,
Ains pesle-mesle, et d'une mesme audace
Les entassant en un mesme batteau
Vous les passez à l'autre bord de l'eau
(Au moins ceux-la qui l'amour en leur vie
Ont bien traitté sans haine et sans envie
De ce Royaume où sont les champs heureux,
Où en repos vivent les amoureux.


Là couple à couple on s'assiet sous l'ombrage
Des myrtes saints, escoutant le ramage
Du Rossignol: là les petits ruisseaux
D'un gazouillis imitent les oyseaux
A degoiser: là les douces haleines
Des vents mollets refraichissent les plaines,
Plaines qui sont d'un beau tapis de fleurs
Bien estoffés en cent mille couleurs,
Que les ruisseaux de lait tousjours arrosent,
Où les Amans et nuict et jour composent
(Si nuicts y sont) le rond des chapelets
Dançant autour des myrtes verdelets.


Là là jamais la foudre ny la gresle,
Ny le frimas le recoy ne martelle
De ces saints lieux: là jamais la chaleur
Ny la froidure evente sa fureur.
De jour en jour une saison nouvelle,
Un beau Printemps tousjours se renouvelle,
Portant troussé le cheveu blondissant
Autour du rond d'un rameau verdissant,
Tenant en main sa Flore couronnee
D'un verd tortis de myrtine ramee,
Tous les pieds nus, portans tousjours entr'eux
En cent reflots ondoyez leurs cheveux.
On ne voit point qu'autre neige y descende
Qu'oeillets, que lis, que roses et lavande,
Rien que douceurs, rien que manne et que miel
En ces beaux lieux ne distile du Ciel.


Adieu Lauriers, adieu grotte sauvage,
Prez, monts et bois, et tout le voysinage
Des chevre-piés Faunes et Satyreaux,
Et le doux bruit des argentins ruisseaux,
Adieu vous dy, ma Maistresse m'appelle:
J'aime trop mieux las! soupirer pres d'elle,
Que vivre en ris sans elle en ce bas lieu.
J'enten sa voix, adieu lauriers adieu.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578