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Chanson

Oncques par traits ou par amorce
Amour ne me donna l'entorce,
Pour esclaver ma loyauté
Sous l'empire d'une beauté,
Ny par tressure blondissante,
Ny par oeillade languissante
D'un oeil larron à demy clos,
Ny par les deux boutons eclos
Sur une levre coraline,
Ny par le laict d'une poitrine,
Par les roses, par les oeillets
Semez sur deux monts jumelets:
Par une face destournee,
Ou faveur de couleur donnee
D'un bracelet, ou d'un anneau,
Ou d'un cordon, ou d'un chapeau,
Pris sur la tresse, ou d'une rose
Dans la blanche poitrine? close,
Ou d'un doigt pressé doucement,
Ou d'un pié mis furtivement
Sur le mien, ny d'autre cautelle
Onc ne fus pris en sa cordelle.


Je n'idolatre point les yeux,
Encores qu'ils decouvrent mieux
Le secret de nostre pensee,
Qu'une beauté si tost passee:
Non que je vueille mespriser
La Beauté pour authoriser
La Vertu qui point ne dedagne
La Beauté pour humble compagne.


Cela sied bien quand tous les deux
Se peuvent accoupler entre eux:
Car l'un et l'autre rend aimable
Son subject par eux desirable.


Mais puis que la fiere beauté
Plus souvent loge cruauté
Que vertu, et qu'en mesme place
Ne loge la crainte et l'audace,
Pour mieux recueillir le plaisir
Je voulu la Vertu choisir.


Je suis amy des neuf pucelles,
Amy des Graces immortelles,
L'esprit me contente trop mieux
Ny que le teint ny que les yeux:
Il n'est point suject à la bize,
Tant plus vieillist, tant plus le prise:
La ride ny le changement
De l'âge n'ont commandement
Sur luy, et n'ont rien de semblable
A cest Archer, autant muable
Qu'un Protee, aussi peu durant
Qu'une fleur qui naist en mourant.


Il tient encor de la nourrice,
Qui dedans la couche tortice
Nourrit sa mere entre les vents,
Troubles et mariniers tourmens:
Il en retient de l'inconstance
De la mer, et de la naissance
De sa mere, aussi le bourgeon
Retient du greffe, et le sourgeon
Du naturel de la fontaine,
L'herbe de l'humeur de la plaine,
De bonne semence bon grain,
De mere douce enfant humain.


Amour est oyseau de passage:
Car las! aussi tost que nostre âge
Se rend de l'hyver compagnon,
Aussi tost s'envole mignon
Haut à l'essort: car sa nature
Ne peut endurer la froidure,
La vieillesse point ne luy plaist,
Aussi hors de son poinct elle est.


Mais ny l'audace sourcilleuse
Du Temps, ny la Parque orgueilleuse
N'ont puissance ny d'outrager
La Vertu, ny de l'estranger:
Et c'est pourquoy je la veux suyvre
Et par elle à jamais revivre.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578