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De la perte d'un baiser de sa Maistresse

Quelle fiévre despiteuse,
Quelle audace sourcilleuse,
Quel outrage, quel malheur
A si tost emblé l'honneur
Du teint du lis, de la rose,
Sur la bouchette déclose
De ma Dame, où le baiser
Qui me souloit appaiser
Estoit en garde asseuree
Dedans sa lévre succree?
Le baiser qui mille fois
A fait l'aelle de ma voix
Cesser un vol pour élire
Une corde sur ma lyre?


Car si tost qu'elle tendoit
Sa bouche qui m'attendoit
Pour me darder une flame,
Qui brusloit l'une et l'autre ame,
Pour soupirer dedans moy
Le traict d'amoureux? moy,
Avec une douce haleine,
Une haleine toute pleine
De miel, de manne, d'odeurs,
De parfum et de senteurs,
En quel heur estoit ravie
L'esperance de ma vie?


Tout aussi tost je sentois
Glisser une douce voix
Begayant dedans ses roses,
Et par ses lévres decloses
Errante pour decevoir
Mon coeur volant pour la voir.


Mais las! ores que je cuide
Presser sa bouchette humide
35 Contre la mienne, et baiser
Ce qui souloit m'appaiser,
Je ne trouve plus les traces
Ny des Amours ny des Graces,
Helas je ne trouve plus
En tout qu'un tombeau reclus
Fait de la lévre blesmie
De la bouche de m'amie.


Et si croy asseurément
Que Venus furtivement
L'a pillé comme effrontee,
Et comme femme, hontee
En sa foy: car je sçay bien
Que jalouse est de mon bien
De long temps, et pour mieux faire
Son larcin veut contrefaire
L'amoureuse en mon endroit,
Et se vante avoir le droit
En ce baiser, d'heritage.


Car autre chose en partage
De son Adon ne receut,
Apres que mort l'apperceut,
Sinon de soigneuse prendre
Au bord de sa levre tendre
Le baiser qui pallissoit
Sur l'amant qui finissoit.
Et dist qu'ell'le mist en garde
Sur la bouchette mignarde
De Madame, mais mon Dieu
Elle a remis en son lieu,
Et l'a derobbé à celle
Qui la rendoit immortelle,
A celle qui l'aimoit mieux
Que le rayon de ses yeux.


Et c'est pourquoy ma mignonne
La faveur plus ne me donne
De ses baisers amoureux,
Trempez d'appas doucereux.
Car la bouche pilleresse,
Et l'audace larronnesse
De Cytheree a repris
Le baiser, qui m'avoit pris.


Adieu donc lévre grossette,
Adieu rose, adieu perlette,
Adieu des plus riches fleurs
80 Et la grace et les odeurs:
Adieu branche coraline,
Adieu bouchette orpheline
Du baiser, qui de son beau


Faisoit briller le flambeau
D'Amour, entre la closture
De ceste riche ouverture,
Qui monstroit mieux sa beauté
Que le coeur sa loyauté.


Adieu larron de mon ame,
Baiser, nourriçon du basme,
Adieu, tant que j'aimeray
Sans toy je ne baiseray.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578