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Sur l'importunite d'une Cloche Au Seigneur Nicolas, secretaire du roy

Ha celuy qui t'a fondue,
Le premier, et qui t'a pendue
Pour sentinelle dans ce coin,
Clochette, de la mesme main
D'un laqs courant t'eust estranglee
Plustost que t'avoir esbranlee
En ces tons aigrement mutins,
Pour rompre la teste aux voisins,
Et pour estourdir les malades,
Pour decouvrir les embuscades
De ceux qui vont faire l'amour,
Ou travailler ceux qui le jour
Attendent pour faire journee
Et gaigner leur vie assignee
Dessus la sueur de leurs mains
Le secours des pauvres humains.


Encor si tu estois de celles
Qui sonnent des chansons nouvelles
En carillon, portant le nom
Ou de Marie, ou de Thoinon:
Mais tu n'es rien qu'une bavarde
Sans adveu, fascheuse et bastarde,
Sans nom, sans grace et sans honneur,
La garde d'un huis et d'un mur.


Ou de celles qui font parestre
En quels mois les jours doivent naistre,
Ou courts, ou longs, en conduisant
Les jours qu'elles vont divisant
En heures, en quarts, et minutes:
Car ce n'est toy qui les ajustes,
Marchant lentement pas à pas,
Ne qui les mesure au compas,
Comme celles-la qui partagent
Nostre vie, et qui la mesnagent,
Si bien que le Dieu radieux
En son cours ne le feroit mieux.
Car lors que sa face riante,
Et sa lumiere estincelante
Ne se découvre quelquefois,
Si est-ce que leur contrepois
N'estant point sujet aux nuages,
Ny aux brouillas, ny aux orages,
Nous monstre qu'au son d'un metal
Et sous un mouvement egal
Les jours, les mois, et les annees,
Coulent vrayment assaisonnees
Au son des Orloges qui font
Les heures qui vont et revont.


Or va donc fascheuse importune
Mendier ailleurs ta fortune,
Va te pendre dans un clocher
Sans travailler mon amy cher
Nicolas, qui d'un mal de teste
Pressé te craint comme tempeste:
Nicolas que j'aime trop mieux
Que la prunelle de mes yeux:
Nicolas qui d'amitié sainte
Et qui de volonté non feinte,
Est tousjours époint d'un desir
A l'ami de faire plaisir:
Et sur tout, à ceux qui les traces
Suyvent des vertus et des graces,
A ceux qui ont je ne sçay quoy
De plus riche et meilleur aloy
Que n'a le commun populaire
Qui ne porte rien que vulgaire:
A tous ceux en qui la faveur
Du ciel, a versé le bonheur,
Qui sans fraude sophistiquee
Ont l'ame ouverte, et non masquee,
Se monstrant tousjours à l'amy
Entiers, et jamais à demy,
A ceux qui de la poesie
Ont l'ame eschaufee et saisie,
A ceux qui sçavent bien chanter,
Mignarder, flatter, pinceter
Les cordes de leurs mains legeres
D'un lut aux languettes sorcieres.
Bref à ceux qui d'un air subtil
Ont le coeur net, l'esprit gentil,
Le vouloir bon, tant il se montre
D'heureuse et de bonne rencontre.
De peur doncques de ne troubler
Son repos, et de le combler
85D'aigreur, et de chaude colere
Va Clochette, et te tire arriere
Loing de nous, et pousse tes sons
Par les bois, et par les buissons.
Si tu ne le fais, je conjure
Ton metal, et prompt je te jure
Qu' à coups de pierre et de caillous
En bref je le rendray si dous,
Que par son bruit espouventable
Il n'offensera miserable
Mon cher Nicolas, qui fievreus
D'une quarte vit langoureus:
Autrement, Cloche, je t'asseure
Que pour eternelle demeure
Sonnante pendras au collier
Ou d'une Vache, ou d'un Bellier,
Ou d'un grand Mouton porte-laine
Du troupeau le grand capitaine,
Ou pour apprendre mille tours
Au col des Singes et des Ours.
Sinon, je pry Dieu qu'attachee
Loing de nous tu pendes bouchee
De fange, de paille et d'estrain
Pour rendre muet ton airain
A celle fin que par ce charme
De nuit ne donnes plus l'allarme
Aux malades, qui dans le lit
Sommeillant s'eveillent au bruit
De ton batail, ou que brisee
Sourde tu tombes mesprisee,
Ou que ton importun caquet
Soit fait compagnon du claquet,
Du baril et de la besace
D'un ladre verd, ou que l'on face
Sans reposer ny jour ny nuit
Par les champs quinquailler ton bruit
Pendant au col mal asseuree
D'un cheval de chassemaree,
Tousjours sonnant et brinballant,
Carrillonnant, bruyant, tremblant
Jusqu' à tant que tombes cassee
En mille morceaux despecee,
Ou que ton chant aigrement cler
Semé s'evanouisse en l'aer,
Ou renclos jamais il ne sorte
Plus loing que le sueil de la porte
De la maison, ou de si pres
Muette ne tinte jamais.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578