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Le Mulet A Monseigneur Nicolas, secretaire du roy

Tu dis qu'il n'y a medecine,
Charme, ny drogue, ny racine
Pour secher la fievreuse humeur,
Qui puisse attiedir la chaleur
Du sang qui boust dedans tes veines,
Ny qui puisse alleger tes peines
Qu'un Mulet, qui d'un entrepas
Doucement porte Nicolas:
Qu'un mulet doux, et sans furie,
Qu'un mulet pris de l'escurie
De ce grand Roy: mais sçachant bien
Qu'aisément on ne tire rien
Des grans, qu'on ne l'achepte au double,
Je te veux purger de ce trouble
Qui te martelle, et qui veillant
Et dormant te va travaillant,
N'imprimant en ta fantasie
Qu'un mulet, qu'une frenaisie,
Qui ne te fait imaginer
Resvant que fantosmes en l'air
Montez sur grands mulets d'Auvergne.


Ou bien que ce soit pour épergne
De trois chevaux qui coustent trop
A nourrir, ou bien que le trot
En soit plus doux, ou que leur amble
Te soit agreable, il me semble
Que pour effacer promptement
Ce penser qui trop follement
Te fait opiniatre attendre
Ce Mulet que tu veux pretendre
Avoir en don de nostre Roy,
Pour te secourir, que je doy
T'envoyer le mien que ma plume
A ferré dessus mon enclume,
Le mien que ma Muse a dressé,
Qui n'est foulé, ny harassé:
Le mien engraissé de mon stile
Et sans bouchon, et sans estrille:
Le mien qui pensé de la main
Ne mange n'avoyne, ny foin,
N'estant que l'image et la feinte,
L'attente et l'esperance peinte
D'un Mulet qu'on ne peut lier
Ainsi qu'un autre au ratelier.
Un mulet fait de telle sorte
Au lieu de porter que l'on porte,
Le vray fantosme d'un mulet,
Qui de laquais, ny de valet
N'a besoin, tant la creature
Est de gente et douce nature:
Un mulet gras et bien en point,
Un mulet que l'on ne voit point,
Dont ne faut se tirer arriere
Pour en eviter le derriere.


Beste gentille, en qui la peur
N'entra jamais dedans le cueur
Ny pour moulin, ny pour brouette,
Pour pont de bois, ny pour charrette.
Mulet fait de telle façon
Qui court sans selle et sans arçon,
Un mulet peint dedans le vuide
Sans harnois, sans mors, et sans bride,
Race qui desrobbe le nom,
Et l'estre du celeste Asnon
Qui dessus la vaze bourbeuze
Passa la jeunesse flammeuse
Du pere Bacchus affolé,
Sans estre souillé ny mouillé,
Recherchant les forests parlantes
Et le bruit des poisles mouvantes,
Pour se rendre sain de l'humeur
Dont Junon le mist en fureur,
Ayant troublé sa fantaisie
D'une jalouse frenaisie.


Il n'est de ces mulets hargneux,
Acariastres, et peureux,
Ruans, mordans, tousjours en rage,
A qui faudroit plus de cordage
Pour tenir la teste et les piez,
Qu' à cent navires bien armez:


Longs d'echine comme une barque,
Eflanquez, à qui l'on remarque
Fort aisement par le travers
Des costes, ce grand univers.


Comme on voit de nuit, allumee
D'animaux l'escharpe animee,
Et mille flambeaux radieux
Par l'azur crystalin des cieux:
Ou comme au temps que l'on hyverne,
Par la corne d'une lanterne
On voit la chandelle estoiler
Et ses rayons estinceller.


Mulets qui ne sont que momie,
Carcasses d'une Anatomie,
Où vrayment sans souiller les mains
De leur sang, les profetes sains
Pourroyent au travers des jointures
Predire les choses futures
Decouvrant le cueur sautelant,
Le foye ou le poumon tremblant:
Et par le reply des entrailles
Prevoir les tristes funerailles,
Et les evenemens douteux
Dessus les peuples langoureux.
Vieux mulets qui dessus l'eschine
Nourrissent plus de laine fine
Que ne fait la peau d'un mouton,
Plus de bourre et plus de cotton
Qu'il ne faudroit pour l'embourreure
De cent lodiers: mais l'encolleure,
La grace et la beauté du mien
Maintenant que j'appelle tien,
Te plaira fort, je m'en asseure,
C'est un mulet qui a l'alleure
Douce pour ne bouger d'un lieu,
Et puis jamais on ne l'a veu
Manger foin, paille ny aveine:
Un mulet qui a longue haleine,
Le pié seur, et ne bronche pas
Ne faisant jamais un faux pas.
C'est le mulet que je t'envoye
Puis que sortir par autre voye
Tu ne peux de ce mal, reçoy
Ce beau mulet qui vient de moy:
Puis chasse la melancolie
Et me charge la maladie
De ceste quarte, sur le dos
De ce mulet, pour ton repos,
A fin qu'errante et vagabonde
Visitant quelque nouveau monde,
Elle s'estrange desormais
Et chez toy n'habite jamais.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578