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Le Papillon audit Seigneur de Ronsard

O que j'estime ta naissance
Pour de rien n'avoir connoissance,
Gentil Papillon tremblotant,
Papillon tousjours voletant,
Grivolé de cent mille sortes,
En cent mille habits que tu portes,
Au petit mufle elephantin,
Joüet d'enfans, tout enfantin,
Lors que de fleur en fleur sautelles,
Couplant et recouplant tes aelles,
Pour tirer des plus belles fleurs
L'email et les bonnes odeurs.


Est-il peintre que la Nature?
Tu contrefais une peinture
Sur tes aelles si proprement,
Qu'à voir ton beau bigarrement,
On diroit que le pinceau mesme
Auroit d'un artifice extréme
Peint de mille et mille fleurons
Le crespe de tes aellerons.


Ce n'est qu'or fin dont tu te dores,
Qu'argent, qu'azur dont tu colores
Au vif un millier de beaux yeux,
Dont tu vois: et meritois mieux
De garder la fille d'Inache
Qu'Argus, quand elle devint vache.
Tu ne vis qu'un gaillard printemps:
Jamais la carriere des ans
N'offense ta crespe jeunesse
D'une chagrigneuse vieillesse.


Au poinct du jour, quand le Soleil
Colore d'un pourpre vermeil
Ses rayons, tu sors de ta couche:
Et puis au soir quand il se couche
Plongeant ses limonniers fumeux
Au sein de Tethys écumeux,
Dessus le tapis de la pree
En cent parures diapree,
Tu te couches, sans avoir peur
De la Nuit, ny de son horreur.
Et quand l'Aurore rayonnante
A mouillé l'herbe rousoyante,
Tu te pais de manne et de miel
Qui lors se distille du ciel.


O vie heureuse, et plus celeste
Que celle des hommes moleste
A suyvre les affections
D'impatientes passions!
Tantost le ciel de son audace
D'un regard triste nous menace,
Tantost un orage cruel
D'un broüillement continuel.
L'hyver, l'Est, ne nous contente,
Mais plustost une sotte attente
Nous repaist d'esperer en mieux:
Bref, rien n'est ferme sous les cieux
Pour la pauvre race des hommes,
Sous les cieux courbez où nous sommes.


Or vy donques bien fortuné
Mon mignon, sans estre estonné
Des traverses de la fortune:
Et pendant que l'heure opportune
Te semont à voler, il faut
Par la bouillante ardeur du chaud,
Que le teint du lis et des roses,
Et de mille autres fleurs écloses
Tu pilles, pour rendre mieus teint
De ma maistresse le beau teint.


Puis m'apportant dessus tes aelles
[1]Le beau fardde ces fleurs nouvelles,
J'appendray sur ce ruisselet,
(Qui doucement argentelet,
Coule de la roche pierreuse
Au long de ceste rive herbeuse)
Et mon bonnet et mon chapeau
Et ton honneur, à cet [2]ormeau:
Et chantant au frais de l'ombrage
J'empescheray que nul outrage
Ne te soit fait sur le mi-jour
Par les enfans, quand de retour
Ils sont des champs, et que leur chasse
A coups de chapeau te pourchasse,
Et tous échaufez à grans pas
Courent pour t'atterrer en bas,
Hastant et rehastant leur suitte
Apres ton inconstante fuitte,
Pour ton voller trop incertain
Qui trompe leurs yeux et leur main.


Et si tu fais que la nuit sombre
Te puisse tirer de l'encombre
Des enfans, encor qu'il fust tard,
Va-ten mignon à mon Ronsard,
Que j'aime mieux que la lumiere
De mes yeux, et dont se tient fiere
Ma Muse: car il daigne bien
Lire mes vers qui ne sont rien.
Tu le trouvras dessus Nicandre,
Sur Callimach, ou sur la cendre
D'Anacreon, qui reste encor
Plus precieuse que n'est l'or,
Tout recourbé moulant la grace
De ses trais, à l'antique trace,
Sur le patron des plus secrets
Poetes Romains, et poetes Grecs,
Pour nous reclarcir leur vieil âge:
Puis t'asseant sur son ouvrage
Tu luy diras que son Remy,
A qu'il a donné son Fourmy,
Son Fourmi, et depuis encore
Un double present qu'il honore
D'une Grenouille, et d'un Frelon,
Pour recompense, un Papillon,
Un gay Papillon luy renvoye,
A fin qu'en pareille monnoye
Reçoive le payment entier
D'un artisan de son mestier.


S'il te reçoit en sa demeure,
Papillon mon mignard, je meure,
Qu'autant heureux ou plus qu'un Roy
Vivras sans peine et sans émoy
En ta franchise coustumiere.
Car, soigneux qu'ell'te reste entiere,
Asseure toy qu'il gardera
Que l'huile ne t'offensera,
Ny qu'au feu des tardes chandelles
Tu grilles le bort de tes aelles.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578