Sur des graines semees par une damoiselle qui ne pouvoient lever ny croistre
Croissez croissez en ce doux mois,
Herbes croissez à ceste fois
Que Junon est bien disposee:
Tousjours Zephyr ne soufle pas,
Ny tousjours ne s'ecoule en bas
Sur nous l'argentine rosee.
Est-ce l'humeur qui vous pourrist?
Est-ce le chaud qui vous flaitrist,
Ou la bise qui vous englace?
L'humeur qui donne accroissement,
La chaleur le nourrissement,
Le vent, la douceur et la grace?
Ne cachez plus vostre beauté,
Ne monstrez vostre cruauté,
Contre la douceur de la fille
Qui vous arrose doucement,
Et vous oeillade humainement
Au matin quand elle s'habille.
Ce malheur vient-il de sa main,
Qui vous a mise dans le sein
De nostre mere, en sa grossesse
Qui semble n'avoir de plaisir,
Qu'en nous monstrant l'ardent desir
Qu'elle a d'enfanter sa richesse.
Il vient de son oeil flamboyant,
Tousjours chaudement larmoyant
Dessus la couche ensemensee,
Il vient d'un souspir amoureux,
Ou d'un regard trop rigoureux,
Ou d'une trop froide pensee.
Car le trait que dardent ses yeux
Est plus chaud, et brusle trop mieux
Que les rais du fils de Latone:
Puis ses larmes qui vont roulant
Et ses souspirs qui vont coulant
Causent un froid qui les estonne.
Les prez s'emaillent de couleurs,
Les jardins s'emperlent de fleurs,
Cherchant d'eux mesme nourriture:
Sans art le laboureur rend bien
Les champs armez d'un petit rien,
Sans ayde que de la Nature.
Laisse-les donc à la faveur
Du Ciel, leur pere, et le bonheur
Des champs, des bois, et des prairies:
Car ton oeil, tes pleurs, ton soupir,
Les feroyent en terre croupir
Plus tost que les rendre fleuries.
