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La Cerisea Pierre Ronsard

C'est à vous de chanter les fleurs,
Les bourgeons, et les espis meurs,
Le doux gazoüillis des fontaines,
Et le bigarrement des plaines,
Qui estes les plus favoris
D'Apollon et les mieux appris:
Quant à moy, rien plus je n'attente
Sinon chanter l'honneur de l'ente
De la Cerise et son beau teint,
Dont celuy de m'amye est teint.


En ce fameux et bon vieil age
Avant que le fils eut partage
Avec le pere, et que les Dieux
Vivoyent esgaux dedans les Cieux,
Leur oeil et leur main pitoyable
De nostre race miserable
Rechercha les inventions
Pour adoucir nos passions,
Car au lieu du commun breuvage
Qu'avions à la beste sauvage,
Bacchus pressura des raisins
Le germe sacré des bons vins.


Cerés changea la nourriture
De ceste brutale pasture
De glans broyez en espis vers,
Secours pour ce grand univers:
Car si tost que sa main heureuse
Eut renversé la motte oyseuse
Qui jamais n'avoit rien produit,
Soudain nous prodigua son fruit.


Encor la poutre Pelienne
N'avoit la frayeur Oceanne
Dedaigné, ny la toile aux flots
N'aux vents n'avoit tourné le dos,
Sans toy Pallas, qui la premiere
Tranchas l'eschine mariniere
Vogant l'esperance au danger
Pour tirer l'or de l'estranger,
Raportant la fueille sacree
Que ta Cité tint encoffree
Si long temps, dont creut le bon heur
Et de la vie, et de l'honneur.


Jupiter pour le plus propice
A charpenter un edifice
Le chesne branchu deterra,
Et puis Apollon enserra
Les doctes frons de la ramee
Verdoyante en sa mieux aimee:
Bref il n'y eut celuy des Dieux
Qu'à chercher ne fust curieux
Quelque bien pour l'humaine race,
Tant alors estoit en sa grace.


Quoy voyant le Dieu Jardinier,
Le forestier, le montagner,
La main sur l'oeil pense et repense
De quelle plus douce semence
Et de quel fruit plus savoureux
Rendroit son jardin amoureux.


Ayant consulté la Nature,
Qui bouchoit encor l'ouverture
D'un germeux pepinier vaisseau,
Où gisoit le germe nouveau
De toute l'espece des choses
Au fond secrettement encloses,
Print la Cerise, et tout divin
La planta dedans son jardin,
Et l'enta comme la seconde
Pour l'entretien de ce bas monde.


Puis aussi tost que ce doux fruit
Hors de la terre fut produit,
Les neuf Soeurs filles immortelles
De Jupiter, femmes, pucelles
Y coururent pour en taster,
Pour en cueillir, pour en porter
Leur plein giron, si que leur bande
En devint tellement friande
Que mesme Junon mille fois
S'escartant seule par les bois
Laissa le goust de son breuvage
Pour en choisir à son usage,
Pour en avoir en sa maison
En tout temps et toute saison:
Ainsi la nouveauté martyre
Doucement le coeur qu'elle attire.


Bref, ce pauvre Dieu fut contraint
Se voyant piller en ce point,
Serrer son huis, et de mettre ordre
A ce pillage, à ce desordre,
A ce soudain desbordement,
Que ces Dames nouvellement
Par ne sçay quelle friandise
Avoyent commis en la surprise
De son jardin. Mais l'on voit bien
Que dans ce monde n'y a rien
Que sans art la Nature ouvriere
Ne face ou donne la maniere
De le bien faire. Or peu à peu
Ce fruit par tout le monde est creu,
Si bien qu'il meritoit l'estime
Comme premier, d'estre le prime,
Et comme l'astre de la nuit
Entre les moindres feux reluit,
Ou comme la grand'mer surpasse
Les flancs de la riviere basse,
Ainsi le jus et la douceur,
La beauté, le goust, la couleur
De la Cerise tant feconde,
Passe les autres fruits du monde.


Sus donc Deesses jardinieres,
Nymphes fruitieres, cerisieres,
Sus donc, des vers soupirez moy
Pour la vanter comme je doy.


Rien ne se trouve plus semblable
Au cours de la Lune muable,
Rien plus n'imite son labeur
Que ce fruit, avant qu'il soit meur.


Tantost palle, tantost vermeille,
Tantost vers la terre sommeille,
Tantost au ciel leve son cours,
Tantost vieillist en son decours.
Quand le Soleil moüille sa tresse
Dans l'Ocean, elle se dresse:
Le jour, la nuit egalement
Ell'prend teinture en un moment.


Ainsi ce doux fruit prend naissance,
Prend sa rondeur, prend sa croissance,
Prend le beau vermeillon qui teint
La couleur palle de son teint.


O sage et gentille Nature
Qui contrains dessous la closture
D'une tant delicate peau,
Une gelee, une douce eau,
Une eau confitte, une eau succree,
Une glere si bien serree
De petis rameux entrelas,
Qu'à bon droit l'on ne diroit pas
Que la Nature bien apprise
N'eust beaucoup plus en la Cerise
Pris de plaisir, qu'en autre fruit
Que de sa grace nous produit.


A t'elle pas en sauvegarde
De son espece, mis en garde
Le noyau dans un osselet,
Dedans un vase rondelet,
Clos, serré dans une vouture
Faitte en si juste architecture
Que rien ne semble imiter mieux
Ce grand tour surpandu des cieux?


Les autres fruits en leur semence
Retiennent une mesme essence,
Mesme jus, et mesme couleur,
Mesme bourgeon, et mesme fleur:
Mais la Cerise verdelette,
Palle, vermeille, rondelette,
La Cerise et le cerisier,
La merise et le merisier,
(Que j'ayme autant, qu'ayme ma Dame
Le soing qu'elle donne à mon ame,
Que la rose ayme le matin
Et la pucelle son tetin)
Est en liqueur plus differente
Que la marine en sa tourmente,
En son teint plus que l'arc en ciel,
En douceur plus que le roux miel.


L'une est pour adoucir doucette,
L'autre pour enaigrir aigrette,
Seche-freche pour moderer,
Aigre-douce pour temperer
L'aigreur et la douceur ensemble
Du fievreux alteré qui tremble:
Brief elle a mille alegemens
A mille dangereux tourmens.


Ou soit que meure sur la branche
En son coural elle se panche,
Ou soit qu'en l'arriere saison
Cuitte se garde en la maison,
Ou bien confite, elle recree
L'estomac d'une humeur sucree,
Donnant au sain contentement
Et au malade allegement.


Mon Dieu mon Dieu quel plaisir esse
Accompaigné de sa maitresse
Librement à l'ombre se voir
D'un Cerisier, et de s'asseoir
Dessus l'herbe encor' blondissante
D'une perlette rousoyante?
Et de main forte rabaisser
Une branche pour luy laisser
Cueillir de sa levre tendrette
La Cerise encor verdelette?


Puis apres de la mesme main
Doucement descouvrir son sein
Pour baiser la sienne jumelle
De sa ronde et blanche mamelle?


Puis luy dire en la baisottant,
La caressant, la mignottant,
Cachez vostre beau sein, mignonne,
Cachez, cachez, las! il m'étonne,
Ja me faisant mort devenir
Par l'outrage d'un souvenir
Que j'ay de ce marbre qui tremble,
De ceste Cerise, qui semble
Rougir sur un mont jumelet
Fait de deux demi-rons de lait,
Par qui ma liberté ravie
Dedaigne maintenant la vie,
Par qui je cesse de sonner
Celle que je te veux donner,
Mon Ronsard, or que redevable
Je te sois, si suis-je excusable
Par une extreme affection
D'avoir changé de passion:
Mais en meilleure souvenance
Ne pouvoit tomber ma cadance,
Pour adoucir le contre-son
De ma rude et longue chanson.


Si l'auras-tu, mais je t'asseure,
Qu'ell'n'est pas encor assez meure,
Elle sent encor la verdeur,
N'ayant ny le teint, ny l'odeur:
Mais pour tromper la pourriture
S'il te plaist, par la confiture
De ton saint miel Hymettien,
Et du crystal Pegasien
Qui sort de ta bouche sacree,
Tu la rendras toute sucree,
A fin que par toy meurissant
On ne la trouve pourrissant.


Si tu le fais, je n'ay pas crainte
Ny des frimas, ny de l'atteinte
Des coups d'un orage gresleux,
Ny du Ronge-tout orgueilleux,
Ny d'une mordante gelee,
Ny de la gourmande volee
D'un noir escadron d'Estourneaux,
Ny du bec des petits moineaux.


Telle qu'elle est je te la donne
D'aussi bon coeur, que ta mignonne
T'en a plusieurs fois envoyé
Pour ton estomach devoyé
D'estre courbé dessus le livre,
Pour la faire à jamais revivre.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578