Ode
A Monsieur Garnier
Garnier, qui d'une voix hardie
Vas animant la Tragedie,
Aspiré des saintes fureurs
D'Apollon, qui chaud de sa flame
Vas bruslant et poussant ton ame
Au sacré labeur des neuf Soeurs:
Qui d'une grace douce et fiere,
Sçais enfler l'estomach colere,
Et rabaisser le front des Rois:
Et qui de vers hautains et braves,
De mots, et de sentences graves
Fais rougir l'échaffaut Gregeois:
Qui de complaintes non communes
Vas lamentant les infortunes,
Malheur ordinaire des grans:
Pleurant la douleur échaufee
De celle qui vive étouffee
Avalla des charbons ardans:
Qui des premiers en nostre France
Tiras sous la docte cadance,
Et sous les accens de tes vers,
Une amour chaste, une amour folle,
Rendant la voix et la parolle
Aux Ombres mesmes des Enfers:
Soupirant de voix amollie
Les justes pleurs de Cornelie,
Qui veit le rivage écumer
Et rougir du sang de Pompee,
Et Scipion d'un coup d'espee
Navré se plonger dans la mer.
Je serois d'ingrate nature
Ayant succé la nourriture,
Et le laict tout ainsi que toy,
Sous mesme air, et sur mesme terre,
Si l'amitié qui nous tient serre
Je n'estimois comme je doy.
Aussi l'on verra les rivieres
Trainer leurs humides carrieres
Contremont, lors que s'oublira
La memoire, et l'amitié sainte,
Qui tient nos coeurs de ferme estrainte,
Et que le noeud s'en deslira.
