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Amour medecin

La larme à l'oeil sur la bouche à Madame,
Lors qu'elle estoit en son accez fievreux
J'alloy cueillant un baiser savoureux,
Tel que celuy que le pigeon peureux
Prend fretillard pour appaiser sa flame.


Elle des mains mises devant sa bouche
Le destournoit ne voulant qu'il fust pris,
Craignant que deux d'une fiévre surpris,
Comme ils estoyent de mesme flamme épris,
Ne fussent morts en si douce écarmouche.


Disant, Mon Dieu, d'une voix foible et lente,
N'achepte point si cherement cest heur,
Ce vain plaisir, ce tant peu de faveur,
Leger payment de si griefve douleur,
Et te repais d'une plus douce attente.


Alors le trait de ma langue animee
Poussant fait breche, entre et gaigne le fort,
Tant que forcee elle endure l'effort
De ce baiser qui vient à mon support
Sur le rempart de ceste bouche aimee.


Restant vainqueur je gousté les delices
De ce baiser qu'on m'avoit refusé:
Car mon dessein tant fust authorisé
Du dieu d'Amour, qu'il fust favorisé
Cueillir le fruit de mes douces malices.


Morte revient, et guarist de ses peines
Sans m'offenser de sa fiévreuse humeur,
S'on ne disoit l'amoureuse fureur
Estre un chaud mal, une fiévre, une peur
Qui va glaçant le sang dedans les veines.


Depuis Phebus ne fist la medecine,
Mais surmonté et vaincu de l'Amour
De son bon gré? luy quitta dés ce jour
L'art de guarir des fiévres à son tour,
Tant fut d'Amour la puissance divine.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578