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Chant de triomphe sur la victoire en la bataille de Moncontourau Roy

Celuy qui contre son Prince
Eleve le front trop haut,
Et qui trouble sa province,
En fin trebuche d'un saut,
Et sent la juste Justice
De ce grand Dieu punissant
De son sceptre rougissant,
L'horreur de tout malefice.


Au ciel loge une Deesse
Pour les rebelles fureurs,
Qui de peine vangeresse
Punit les outrecuideurs,
Et sur la terre où nous sommes,
Punit ceux qui sans propos
Troublent le commun repos
Des Dieux, des loix, et des hommes.


Ce n'est legere entreprise
De s'attaquer à des Rois,
Tousjours Dieu les favorise,
Forge et trampe leur harnois:
Il les sacre, et les couronne,
De vaillance arme leur bras,
Il les anime aux combas,
Et la victoire il leur donne.


Les Rois ne sont, comme on pense,
Elevez de germe humain,
Il y a de la semence
Du fecond et large sein
Du ciel, puis Dieu sous sa targe
Les tient et clos et couvers,
Leur donnant de l'univers
Le maniment et la charge.


Aussi les fils de la terre
Voulans écheller les Dieux,
(Ruse nouvelle de guerre)
Entasserent jusqu'aux cieux
Monts sur monts, roches sur roches
En grands bastions quarrez,
Pour combatre remparez,
Et mieux faire leurs approches.


Mais toute leur forteresse,
Si tost qu'on écarmoucha,
Dessous la main donteresse
De Jupiter, trebucha,
Broyant menu comme poudre,
Les membres de ces grands corps,
Rompus, brisez, noirs et morts
Sous les esclats de la foudre.


Ainsi les bouches mutines
De l'escadron Typhean,
Accablé sous les ruines
Des monts, au camp Phlegrean,
Souflent à chaudes haleines
Encore dessous les monts
Et le soufre, et les charbons,
Cruel tesmoin de leurs peines.


Quelle gresle, quel orage,
Dieux! quelle estrange fureur,
Quel affront, quel brigandage,
Quel massacre, quelle horreur,
Souffre nostre nourriciere
France, ja par tant d'hyvers
Portant ses deux flancs couvers
D'une vermine estrangere?


Forçant tous saincts privileges,
Ils ont polu les saincts lieux,
Et de flammes sacrileges
Bruslé les maisons des Dieux,
Puis de cent cruautez rares
Dessous leurs glaives bourreaux
Fait mille meurdres nouveaux,
Marque vrayment de barbares.


Ils ont de leurs mains brigantes
Volé les temples sacrez,
Et les ombres innocentes
Des sepulchres empoudrez,
Fait tradimens incroyables,
Meurdres, que ceux qui viendront
Apres nous, point ne croiront,
Tant ils sont espouventables.


Ceste brigade animee
Et de rage et de fureur
Courant sus à main armee
Pour renverser le bon-heur
Et le repos de la France
Peut bien maintenant sentir
Dedans l'ame un repentir,
De sa folle outrecuidance.


Sus donc France ma nourrice,
La perle et le petit oeil
Du monde, qu'on s'esjouysse.
Avant, qu'on laisse le dueil,
Qui desja par tant d'annees
Flotte dessus ton beau chef,
Dechiré pour le mechef
Des cruelles Destinees.


Diray-je les impostures
Dont ils ont pipé les grans,
Et les promesses parjures,
Amorce des ignorans?
Sans les entreprises folles
Pour attirer l'estranger,
Le Rhein, la Meuse et la Mer
Enyvrez de leurs parolles?


Ceux qui sous l'Ourse Germaine
Sentent les mordans Hyvers:
Et ces Rousseaux dont l'areine
Se renferme entre deux mers,
Sont arrivez secourables
A cest escadron mutin,
Pour avoir part au butin
De ces troupes miserables.


Diray-je les vieilles ruses
De cest impudent fuyart,
Le jargon, et les excuses
Qu'il brassoit pour faire part
A nostre Roy, dont la destre
Luy fera sentir combien
En fin on reçoit de bien
Pour s'attaquer à son maistre.


Sus donc maintenant qu'on chante
Les divins honneurs des Dieux,
Du Roy, du Frere, et qu'on vante
Leurs beaux faicts victorieux:
Avec les Dieux ces deux Princes
Ont defaict leurs ennemis,
Vaincus, chassez, et remis
En liberté leurs Provinces.


Le ciel se pare d'estoiles,
Les montagnes de forests,
La mer de mats, et de voiles,
Et de peupliers les lieux frez,
Les Dieux n'ayment que la gloire,
Les fronts vaillants et guerriers
L'honneur des chastes lauriers,
Noble marque de victoire.


L'honneur donna la vaillance
A l'Amphitryonian,
De donter la violence
Du fier lyon Nemean,
Jeune encor, puis ses faits d'armes
Le mirent au rang des Dieux.
L'honneur guide dans les cieux
Les preux, et vaillans gendarmes.


En sa jeunesse Alexandre
Epoinçonné de l'honneur,
Courut l'Indois, pour se rendre
De tout le monde vainqueur,
L'Arabe, et l'Onde perleuse
Qui voit naistre le Soleil,
Veit le superbe appareil
De sa main victorieuse.


Cil qui honore sa vie
Au prix d'une belle mort,
Ne porte jamais envie
Aux ans: L'honneur est le Fort
Qui rempare la province:
Bref celuy meurt bien-heureux
Qui jeune et chevaleureux
Verse son sang pour son Prince.


Aussi l'honneur a fait croistre
Le coeur à ce grand guerrier,
A ce grand DUC, dont la destre
S'est acquise un beau laurier,
Pour honorer sa conqueste,
Et couronner son beau front,
Qui, jeune, a domté l'affront,
Et l'horreur de la tempeste.


Ainsi qu'on ne pouvoit croire
Qu'en son enfance Apollon
Deust remporter la victoire
Du serpent à l'oeil felon,
Qui trainoit (pesante charge)
Un grand ventre à dos rampant,
Et couvroit plus d'un arpant
Dessous son écaille large.


Delphes reste espouvantee
Voyant ce monstre abbatu
Sous la jeunesse indomtee
De ce Dieu, dont la vertu
Fist lors clairement paroistre
En ce combat furieux,
Que cil qui se prend aux Dieux
En fin tombe sous leur destre.


Ainsi nostre pauvre France
Noire de pleurs, et de peur,
Presque veufve d'esperance
D'avoir jamais ce bonheur
De voir esclarcir l'orage
De ces vents seditieux,
Voit ce DUC victorieux
De ce grand monstre sauvage.



Monstre qui de son haleine
Empoisonnoit l'air François,
Les eaux, les prez, et la plaine,
La mer, les monts, et les bois:
Dont la peste universelle
Desja rampoit par les champs,
Peste mesme que les grands
Nourrissoyent dessous l'esselle.



Ny la vaillance Espagnolle,
Ny la main du fier Anglois,
Ny ceux qui dessous le Pole
Ont endossé le harnois,
Ny la ruse Piedmontoise,
Ny le guerrier Bourguignon,
Le Flament, ny le Breton,
Ny l'imposture Albigeoise,


N'ont jamais tenté de faire
La moindre des cruautez,
Que ce trouble populaire
A fait dedans nos citez:
Ny jamais tant outragee
Nostre France, à leur abort,
Qu'a faict le cruel effort
De ceste troupe enragee.


Entre l'une et l'autre rive,
Dessus la plaine de Gron,
De Toüé et de la Dive
Se rangent en escadron,
Enflez desja de la gloire:
Mais, las! ils ne sçavoyent pas
Que ce grand Dieu des combas
Porte en sa main la victoire.


Là ces troupes se sont jointes:
Mais les prophetes oyseaux
Ne branloyent leurs ailes peintes
Sur le coulant des ruisseaux
Pour le parti des rebelles.
Car Dieu dessous sa grand'main
Conduisoit tout le dessain,
Et l'emprise des fidelles.


Et toy, qui eus en partage,
De Dieu, comme successeur,
Le bras, le coeur, et l'image
Du pere, et l'heur, et l'honneur,
Et qui as sur la terrace
Des murs foibles de Poitiers,
Planté cent et cent lauriers,
Vrais heritiers de ta race.


Qui forçant tous les desastres
Du temps, brave as combatu
Les foudres opiniastres
Du canon, par ta vertu:
Puis delivrant la muraille,
De peur, de sac, et de faim,
Heureux te trouves soudain
Au fort de ceste bataille.


Où comme ce grand Achile
Dessus le coulant des eaux
De Scamandre, file- à-file
Versas hommes et chevaux,
Dedans le sang qui ondoye,
A flots pourprez par les chams,
Remarquant tes jeunes ans
D'une chere et noble playe.


La terre tremble esbranlee
Dessous l'effroyable horreur
Des chevaux, quand la meslee
Commence entrer en fureur:
Le ciel fremit de l'orage
Des coups, des cris, et du son,
De la flamme et du canon
Se brasse un espais nuage.


Mars soudain laisse la Thrace
Pour voir ce cruel estour,
Mais vestu d'une autre grace
Qu'il est pour faire l'Amour,
Quand de la levre doree
De Venus au blanc tetin,
Il prend un baiser sucrin
De sa bouchette pourpree.


La crespine chevelue
De son beau poil jaunissant
Ne s'esgaroit crespelue
Dessus son col blanchissant:
Un morion sur sa teste,
D'or fin brilloit flamboyant,
Un grand panache ondoyant
Flottoit le long de la creste.


Sa poitrine bien garnie
D'un corcelet Lemnien,
Le labeur et l'industrie
Du Sterope Eolien:
Bref armé de telles armes
Qu'il estoit, lors qu'il chassa
Du ciel, et qu'il terrassa
Les corps de ces fiers gend'armes.


Puis s'eslance sur la croupe
Du coursier du grand vainqueur,
Le Duc d'Anjou, à la troupe
Donnant la force, et le cueur,
Charge (dist-il à ce Prince):
Les armes que j'ay au poing
Prennent aujourd'huy le soing
Du Roy, et de sa Province.


Que les troupes blanchissantes
De cest escadron mutin,
Soient teintes de mains sanglantes,
Ils vont contre le Destin:
La Cause fait les alarmes:
Juste, elle donne le cueur:
S'elle est injuste, la peur
Du poing fait tomber les armes.


Charge donq, le temps se passe:
Moy qui mesnage le temps,
Du Roy je garde la place,
Et les lauriers triomphans:
Soudain à teste baissee
Il enfonce dans leurs rancs
Pesle-mesle entrant dedans,
Et la troupe a renversee.


Comme la face doree
De l'Aurore au char pourprin,
Monstrant sa bouche sacree
Moitte encor du bain marin,
Entre les autres lumieres
Du ciel, marche flamboyant:
Ainsi paroist foudroyant
Ce Duc és troupes guerrieres:


Moissonnant cette vermine
De Reistres empistolez,
Et la brigade mutine,
De leurs soldats evolez,
D'une main prompte et habile,
A grans coups de coutelas,
Ainsi que tombent à bas
Les espics sous la faucille.


La terre est toute jonchee
De corps navrez et sanglants,
Bronchant la teste panchee
Effroyez des assaillants:
Terre de sang enyvree
Des corps nuds, qui sans tombeaux
Servent de gorge aux corbeaux,
Aux chiens et loups de curee.


Et croy que les Destinees
Humaines ordonneront,
Qu'apres de longues annees
Ceux-la qui renverseront
Le champ qui ces corps enserre,
Pleurant, maudiront les os,
Qui ont banni de repos
Le ciel, la mer, et la terre.


Hors le coulant de ces ondes,
Tiedes et rouges de sang,
Les Nymphes aux tresses blondes
Se montrent jusques au flanc,
Chantant la victoire belle
Autour de nos estendars,
Marquant le dos des fuyars,
D'une vergongne eternelle.


Ainsi tousjours la Victoire,
Mon Roy, sur tes estendars
Se puisse asseoir, et la gloire
Sur le front de tes soudars:
Et de son aile environne
Ton Frere ce grand guerrier,
Et luy tresse de laurier
Sur le chef une couronne.


Ainsi te soyent favorables
Les Cieux, et les Dieux amis,
Pour abaisser secourables
L'orgueil de tes ennemis:
Ainsi tes beaux lis florissent
Sous l'air d'une douce paix,
Et florissant à jamais
Sous l'orage ne ternissent.


Pendant retourne ta face
Seigneur, et que ton oeil dous,
Sous les torrens de ta grace
Puisse escouler ton courroux,
Retenant sous l'ordonnance
De l'Eglise, et de ta Loy,
Le sceptre de nostre Roy,
Ton nom, ton peuple, et ta France.

Belleau, Remy (1528-1577) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie (Gilles Gilles, Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008. Le texte numérisé est celui de l'édition 1578