Puisque ma Maistresse dedaigne
L'honneur des bois, et la campaigne,
Puisque les tertres bosselus,
Et les ruisselets mousselus,
Le crystal des ondes sacrees,
L'email des verdoyantes prees,
La frayeur d'un antre fourchu,
L'ombre d'un boccage branchu,
Luy desplaisent, et que sa flame
Nourrice d'Amour, ne s'enflame
En lieu solitaire et reclus:
Quant à moy je ne vivray plus,
Egaré loing du populaire,
Ny des Citez, pour luy complaire,
Aussi qu'en rien ne m'y desplaist
D'autant que je voy qu'il luy plaist.
A Dieu donc garses forestieres,
A Dieu pucelles fontainieres,
Chevrepiés, Satyres cornus,
Faunes, Silvains, et Dieux connus
Non que de leur terre voisine,
Et de l'innocente poitrine
Du laboureur et du berger,
Sans plus loing leur gloire estranger.
A Dieu donc, puisque ma maistresse
Orphelins d'honneur vous delaisse,
Detournant de vous ses beaux yeux,
Je croy qu'en l'obscur de ces lieux
Amour ne fait plus sa retraitte,
Mais que d'emprise plus secrette
En quelque ville separé
Loing de vous il s'est esgaré,
Enyvre de la douce grace
De celle qu'il suit à la trace,
Comme un limier trouve dispos
Le cerf craintif en son repos.
Quant à madame je sçay bien
Que plus n'y est, et sçay combien
Maintenant elle vous dedaigne:
Car elle s'est faicte compaigne
De Pallas Minerve aux yeux pers,
Et moy l'une et l'autre je sers
O que j'estime estre barbare
Celuy qui de son gré s'esgare
Loing de ces deux divinitez,
L'honneur des plus belles Citez,
A qui les champs maintenant plaisent,
Maintenant les villes desplaisent,
Sejour de l'Amour espineux,
Et d'Apollon aux blonds cheveux.
Amour parle nostre langage,
Amour archer n'est si sauvage,
Qu'il estoit lors qu'il encordoit
Son arc à peine, et s'abordoit
Plus tost à quelque cueur champestre
Qu' à cil qui le pouvoit cognoistre:
Lors il n'avoit le bras archer
Pour enfoncer, pour descocher,
Et si n'avoit la main meurdriere
Pour guider sa fleche legere
A quelque cueur de blanc en blanc
Traperçant l'un et l'autre flanc,
Enrouillant son arme mutine
En sa force trop enfantine.
Il ne cognoissoit pas encor
Qu'estoit celle à la pointe d'or,
Et comme morne la plombee
Restoit sur le refus courbee.
Mais las maintenant quelle main
Il a pour enferrer un sein,
Et le troubler d'une tourmente
Plus forte que celle qui vente
Dessus la mer par tourbillons
Raboteuse en mille sillons!
Il ne va maintenant en queste
Pour le bouvier, ny pour la beste,
Mais bien pour triompher d'un cueur
Brave, et pour se rendre vainqueur,
Vainqueur non seulement des hommes,
Mais des Dieux, dont sugets nous sommes.
Depuis qu'il commence à hanter
Les villes et les frequenter,
Il sent sa court, et se deguise
D'un masque artizan de feintise,
Et n'a rien de rustic en soy
Qui tienne rigueur à sa loy.
Il est riche de courtoisie,
Civil, gaillard, sans Jalousie:
Ou s'il en donne occasion,
Pour estaindre la passion
Il a la drogue et la racine
Pour faire douce medecine,
Et donner prompt allegement
Par un secret enchantement.
Ha mon Dieu que je reçoy d'aise
Quand pour couvrir la vive braise
Et pour en cendre l'amortir,
Je voy ma maistresse sortir
De sa maison toute gaillarde,
Et que d'une alleure mignarde
Semble me dresser les apas
A la cadance de ses pas!
Ou quand d'une aguille mignonne
Dessus la gaze elle façonne
Ayant son passereau mignon,
Les douze lettres de son nom,
Ou quand par la troupe voisine
Devise avecques sa cousine
Par dessus toutes paroissant,
Comme on voit le premier croissant
Parmi le crystal d'une nuë
Luire entre la troupe menuë
Des astres beaux, non de la voir
Seulette aux champs, et recevoir
Le froid, la pluye, et vagabonde
Griller sa cheveleure blonde,
Son front, sa delicate peau,
Ses yeux, sa bouche, et son teint beau
A la chaleur la plus ardante,
La plus chaude et la plus boüillante
Que l'Avantchien darde sur nous
Meu de colere et de courrous.
Ou soit que le souillard Autonne
Nous fasche, ou que l'hyver frissonne
Jusque au foyer de la maison,
Ou que la plus gaye saison
D'un oeil rousoyant nous convie,
Je ne prendray jamais envie,
Voulant tousjours faire l'amour,
Aux champs de faire long sejour.
Aussi Diane bien apprise
Rougissoit du berger d'Amphryse
Son frere, quand ell'le trouvoit
Chargé d'un faix qui le grevoit
Courant par la plaine bruslante
Apres une fascheuse amante
Qui les pas en rien n'estimoit,
Du Dieu qui chastement l'aymoit.
Combien de fois s'est courroucee
Latone, de voir abaissee
La magesté de son fils beau,
Pour estre garde d'un troupeau?
Voir sa perruque herissee,
Sa main poudreuse, et crevassee,
Basané le fraiz de son teint,
Du chaud ou de la bize atteint,
Pour en vain suyvre une cruelle,
Farouche, rustique, et rebelle,
Qui plus encor pour s'obstiner
Ayma plustost s'enraciner
En laurier , que d'estre suyvie
D'un qui l'aymoit mieux que sa vie,
Voulant pour la contenter mieus
En faire un astre dans les Cieux?
Jamais Junon ne fut saisie
D'impatiente Jalousie
Pour voir Jupiter amoureux
En son theatre bien heureux:
Mais bien pour le honteux eschange
De sa grandeur en chose estrange
Oubliant son foudre usité
Tesmoing de sa divinité,
Oubliant sa destre puissante
D'éclair et de feu rougissante,
Estrangeant l'honneur de sa peau
En un cygne, ou en un toreau,
Pour pratiquer une surprise
Sur une femme mal apprise.
Aussi depuis on n'a point veu
Un Mars, un Jupiter esmeu
D'amour rustiq, pour estre fable
D'un populace miserable.
Je sçay fort bien qu'ils l'ont appris
Entre bouviers, y ayant pris
Une premiere cognoissance
D'Amour, dés leur petite enfance:
Mais depuis que cette raison
Eut polli la rude saison
Ayant fait leur aprantissage
Au fond de quelque antre sauvage,
Pour mieux pratiquer leurs amours
Ils ont les villes et les courts.
Et quant à moy, puisque madame
Y fait sejour, et que sa flamme
S'allume en moy de plus en plus,
J'y demourray tout le surplus
De mes ans, à fin que j'y serve
Amour, Apollon, et Minerve.